26 avril 2011

Théâtre idiot

Résumé :
Sur une mer indéterminée et factice, au large ou auprès d’une terre fictive, quatre personnages : le commandant oisif et idiot, la comtesse veuve et nymphomane, le docteur pervers, le mousse sournois et insolent. Des pestiférés fantomatiques traversent de temps à autre le navire dans l’indifférence générale. Une confuse histoire de vis fait planer le doute sur la mort subite du comte.
Le docteur va faire un tour en ville et la comtesse en profite pour essayer de séduire le commandant. Celui-ci part en ville à son tour pour fuir la comtesse qui se rabat sur le mousse.

La comtesse: Figurez-vous, mon cher,que notre docteur est très préoccupé.

Le docteur: (gêné) Mais non, mais non.

La comtesse: (au commandant) A cause de ce que vous lui avez dit tout à l’heure. (geste interrogateur du commandant) Au sujet des vis.

Le commandant: (réalisant)  Ah! Les vis. (il se met à rire) Ah! Ah! Les vis. Ah! Ah! Ah!

Le docteur: (agacé)  Et bien, quoi ? Qu’est-ce que cela a d’amusant ?

Le commandant: (s’arrêtant avec peine de rire)  Oh! Rien. Non, rien.

La comtesse: Voyons, Commandant, faites un effort de mémoire. Combien en avait-il dans sa

main, cinq ou six ? (elle lui parle comme à un enfant- il a l’air de faire un gros effort)  Cinq ou

six ? C’est très important.

Le commandant: (il semble réfléchir – on croit qu’il va répondre, puis subitement il traverse

le bateau très vite en montrant quelque chose du doigt) C’est elle ! La voilà, la voilà ! (la

comtesse et le docteur se regardent avec étonnement puis consternation)

La comtesse: On n’en tirera rien.

Le docteur: Sa débilité augmente de jour en jour.

Le commandant: C’est elle, je vous dis, Pégase! C’est Pégase!

La comtesse: Qu’est-ce qu’il dit ? Il voit des chevaux maintenant.

Le commandant: Mais non, Pégase, la constellation!

Le docteur:  Bon, très bien, la constellation. Et alors ? Il n’y a pas de quoi faire un tapage

pareil
.
Le commandant: (vexé)  Bon, bon, ça va. Je ne dirai plus rien. (pour lui) C’est pourtant autre

chose que les vis du marchand de journaux, mais enfin ! (il hausse les épaules – le mousse

  arrive avec verres et carafe sur un plateau et se met à servir)

La comtesse: Ah!  (le commandant boude – le docteur sort un cigare)

Le docteur: Allons commandant, ne boudez pas. (le commandant hausse les épaules)

La comtesse:  Vous avez trouvé de nouveaux cigares ?

Le docteur: Oui, Comtesse. (il regarde son cigare, le sent, sceptique) Je ne suis pas sûr du résultat
.
Le mousse: (qui a fini de servir)  Pégase est en vue.

Le commandant: (bondissant de sa chaise) Ah! Vous voyez !

Le docteur: (impassible) Et bien ?

Le mousse: (très important)  Après Pégase ce sera Andromède, et après Andromède…

(geste de fatalité)

Le commandant: (très sombre)  Et oui, après Andromède…

La comtesse: (au docteur)  Vous comprenez quelque chose, vous ?

Le docteur: Commandant, vous laissez la parole à votre mousse à présent ?

Le commandant: (rêveur) Il sait aussi bien que moi ce que ça veut dire, Andromède.

La comtesse: (ironique) Il a de la chance !

Le docteur: Laissez, laissez.  (pendant tout le dialogue suivant, le docteur et la comtesse

seront parfaitement indifférents)

Le mousse: (tenant toujours son plateau vide, regardant droit devant lui)  Pégase, ça va

encore. Avec un peu de chance on peut s’en tirer…

Le commandant: (toujours assis, l’air absent)  Oui, Pégase, c’est rien. Beaucoup d’autres l’ont

fait avant nous…
 
Le mousse: Il suffit de passer lentement, sans se faire remarquer….

Le commandant: Dès qu’on aperçoit Sirrah on arrête les moteur, on finit à la voile…

Le mousse; Oui, à la voile, ça passe. Mais Sirrah, c’est la fin de Pégase…
 
Le commandant: Et le début d’Andromède… (il soupire) Et alors là…
 
 Le mousse: Vous vous souvenez , Commandant… l’année dernière… Eridan…

Le commandant ; (riant légèrement) Oui, Eridan…

Le mousse: On l’avait bien eue !

Le commandant : (rit un peu puis soupire)  Ah! Ne parle pas de ça, allez.



               Fluctuat, fluctuat (Anne Marbrun)     Extrait 3